Les noms de lieux bretons constituent un patrimoine inestimable mais menacé.
Par leur richesse, les noms de lieux ou toponymes bretons appartiennent au patrimoine de la Bretagne et participe intimement de son identité. La toponymie est le fruit de l’histoire et des langues des populations. La part des toponymes de langue bretonne est donc considérable en Bretagne mais pas exclusive. Outre le substrat préceltique, nombreux sont les toponymes qui puisent leur origine durant les périodes gauloise et gallo-romaine (Ex. Rennes/Roazhon).
Toutefois, dans la partie occidentale de la Bretagne, les noms de lieux sont essentiellement bretons. La langue bretonne y a été pratiquée sans interruption depuis l’installation des Bretons à partir du IVe siècle. La partie orientale de la Bretagne est plus composite et est généralement divisée en deux espaces. A l’extrême-est, au-delà de Rennes et Nantes, la toponymie est d’origine gauloise, et surtout romane. Des toponymes bretons y sont cependant présents de manière sporadique. Dans l’entre-deux se présente une zone mixte. La pratique traditionnelle de la langue bretonne y a été interrompue depuis plus ou moins longtemps mais elle a été suffisament durable et dense pour marquer le paysage toponymique très fortement.
Les Bretons venant de l’île de Bretagne apportent en Armorique leur système toponymique. Aux nobles, l’on doit les noms formés sur Lez (qui désigne une cour et résidence seigneuriales). Aux prêtres, les différents Lann (lieu consacré), remplacés par Log après le Xe siècle ; aux paysans, les noms en Trev (lieu habité et cultivé), puis en Kêr. Ce dernier désignait d’abord un lieu défensif, comme c’est toujours le cas en gallois (cf. Car dans Cardiff). Mais c’est à partir du Xe siècle que fleurissent partout les noms en Kêr, lorsque le terme prend le sens d'exploitation rurale et d’endroit habité. Dans l’Antiquité tardive, les Bretons organisent le territoire en paroisses. Ce réseau paroissial va marquer l’organisation territoriale de la Bretagne jusqu’à nos jours. Beaucoup de communes actuelles (vous trouverez ici la liste complète des communes de Bretagne en français et en breton) sont issues de ces entités, reconnaissables par le terme Plou- en tête (ou ses variantes Plo-, Plu-, Pleu-...). Comme pour les autres noms de lieux, le composant qui suit est souvent un nom d’homme (nom de saint après Plou), un qualificatif ou un autre nom. Par exemple, Plougastell est la paroisse de la fortification (Plou- + Kastell).
La langue bretonne connaît une tradition écrite très ancienne, comme le montre l’abondante production lexicographique et pieuse des époques médiévales et modernes. Toutefois, en l'absence d'un emploi administratif, y compris lorsque la Bretagne était un Etat souverain, les toponymes de langue bretonne, tels qu’ils nous sont parvenus à l’écrit, ont été portés par des systèmes écrits allogènes (latin, puis français), desquels découlent de nombreuses altérations. Un même nom peut se présenter sous des formes orthographiques diverses, selon les administrations, les organismes ou les sources. Les noms de lieux bretons ont également parfois été traduits du breton au français, littéralement (ex. La Villeneuve issu d’ar Gernevez), ou partiellement (Kerjean d’en-Haut, issu de Keryann Uhelañ). Les noms ont parfois été tellement déformés qu’ils sont méconnaissables et ne correspondent plus du tout à la prononciation en breton des habitants du lieu. D’autres ont été traduits de manière fantaisiste. Le cas du toponyme Kroashent/ar C'hroashent (littéralement "le carrefour"), fréquemment devenu Le Croissant par attraction paronymique, est emblématique.
Les microtoponymes apparaissent souvent altérés également, ou transcrits suivant un système orthographique désuet et inadapté. Parmi ceux-ci figurent les noms des parcelles, qui sont consignés dans les cadastres, dont le cadastre napoléonien (Première moitié du XIXe siècle). Les toponymes nautiques sont connus oralement pour l’essentiel. Ces millions de dénominations sont les témoins plusieurs fois séculaires des rapports culturels des Bretons aux paysages. Ils renseignent sur la manière dont la population bretonnante a organisé son environnement immédiat. La microtoponymie est donc composée d’un vocabulaire breton riche et varié, avec de fortes spécificités linguistiques locales, et présente des références historiques diverses, liées à la mise en valeur du territoire. Voir par exemple l’étude du parcellaire menée par l’OPLB à Pontivy.
Pour valoriser ce patrimoine millénaire qui est nous parvenu, il convient de normaliser les noms de lieux et de faire en sorte que les formes normalisées soient utilisées, tant dans le registre du français que dans celui du breton. Cette démarche suit les recommandations internationales du Groupe d’Experts des Nations Unies pour les Noms Géographiques (GENUNG) en matière de toponymie.
La normalisation consiste à orthographier correctement le nom de lieu, en prenant en compte quatre de ses aspects, autant que possible :
1. Ses différentes variantes écrites actuelles, figurant sur les cartes, les nomenclatures administratives, les panneaux, etc. ;
2. Sa prononciation locale en breton, collectée au cours d’un entretien en breton, auprès de brittophones ayant le breton comme langue maternelle ;
3. Ses formes historiques attestées dans divers documents d’archives, les plus anciens au mieux ;
4. Ses formes déjà en vigueur en breton dans la production écrite de langue bretonne.
Ce n’est qu’après le collectage de ces quatre séries de données, et leur examen minutieux, que le Service Patrimoine linguistique établit la forme correcte du nom de lieu qui lui est soumis par les collectivités, pour de la signalisation, de la cartographie, de la traduction. La normalisation suit les règles générales du breton moderne et les règles propres à la normalisation toponymique établies par la Commission de Toponymie et de Signalisation dans les années 1980.
La normalisation est effective lorsqu’elle aboutit à la rectification du nom de lieu. Outre le retrait des variantes impropres, la rectification permet d’améliorer la lisibilité des panneaux bilingues, puisque n’apparait plus qu’une seule forme (la forme normalisée), au lieu de deux. Elle donne à voir en signalisation une toponymie homogène sur le territoire et permet de mettre en exergue un vocabulaire toponymique façonné par les générations antérieures. Grâce à la rectification toponymique, on peut conserver la mémoire des locuteurs vivants sur place, tout en habituant les non-locuteurs à fréquenter la langue bretonne au quotidien. Cependant, en l’état, la correction n’est toutefois envisageable que pour les noms de lieux sans statut (ce qui n’est pas le cas des noms des communes, par exemple) et dans la mesure où la notoriété de la graphie impropre n’est pas trop importante.
Depuis des décennies, de nombreux noms de lieux originaux de langue bretonne sont régulièrement délaissés au profit de nouvelles appellations génériques en français, lors de la création de lotissements, de zones d’activités ou de simples voies. Ce mouvement s’est particulièrement intensifié durant la dernière décennie avec la généralisation de la numérotation des habitations en campagne, pour rendre plus performante la distribution du courrier est-il avancé, ou pour le développement de la fibre optique.
Nous avons assisté en très peu de temps à une vaste mouvement de créations de dénominations ex-nihilo (du type « Rue des Pâquerettes »), venant se substituer aux noms déjà existants en breton : les toponymes (écarts, villages, hameaux), qui constituent le lieu de résidence des habitants et leur adresse depuis toujours, ou les noms des parcelles, où se trouvent les habitations.
Ce phénomène a engendré un mouvement de rejet en Bretagne. Celui-ci s’est cristallisé dans certaines localités en 2019, où la création de nouveaux noms sans aucune assise historique a été particulièrement importante.
Il a également amené la Conférence territoriale de la langue bretonne, rassemblant en son sein les collectivités territoriales de la région Bretagne, à se positionner sur le sujet (voir ci-dessous).
Pourtant, ce phénomène n’est pas inéluctable. C’est à chaque Conseil municipal qu’il revient de choisir les appellations nouvelles. Pour sauvegarder et valoriser ce patrimoine toponymique millénaire et unique, le Conseil municipal peut lors d’un nommage :
Ainsi, admettons la nécessité de numéroter des habitations et donc de nommer des voies dans un lieu habité dénommé Kerbrat. La solution la plus simple, celle qui engendre le moins de changement pour tout le monde, consiste à reprendre le nom Kerbrat lui-même, ou mieux, sa forme correcte Kerbrad, et à l’attribuer aux voies qui s’y trouvent. Puis il suffit de numéroter les habitations comme ceci : 1 Kerbrad, 2 Kerbrad, 3 Kerbrad, etc. dans le cas d’une numérotation classique ou 114 Kerbrad, 121 Kerbrad, 132 Kerbrad, etc. dans le cas d’une numérotation métrique.
Lorsque l’habitat est particulièrement dense et qu’un lieu-dit comporte de nombreuses voies, il est préférable de s’appuyer sur la microtoponymie et de reprendre quelques noms de parcelles, où se trouvent les habitations, pour les attribuer à certaines voies, en plus du nom du village lui-même.
Ainsi, à Guerlesquin, la résidence construite dans la parcelle Parc ar belec a pris le nom de Park ar Beleg, dans sa forme correcte, comme seule dénomination. Voir ci-dessous le panneau sur place, les extraits du cadastre actuel, de la carte IGN (Géoportail) et de la carte de Base Adresse Nationale (BAN). Sur ces deux dernières apparaissent la numérotation. Les adresses sont 2 Park ar Beleg, 3 Park ar Beleg, 4 Park ar Beleg, etc.
Les mairies, et tous les acteurs concernés, trouveront ici un guide pratique, complet et valable partout, pour nommer de nouvelles voies.
Il a été réalisé par le S.I.G. du Pays de Brest en collaboration avec le S.D.I.S. du Finistère, La Poste, les Finances publiques (pour le cadastre), Mégalis Bretagne et l'OPLB.
Les pages 15 et 20-22 abordent plus particulièrement la question du respect de la toponymie existante de langue bretonne, lors de la création de nom de voies.
Document à télécharger directemment sur le site internet du Pays de Brest : Guide d’accompagnement à la dénomination et à la numérotation des voies du Pays de Brest
Dépliant synthétique de l'OPLB sur l'adressage et la langue bretonne.
|
Libellé fr | Code fr | Libellé br | Code br |
---|---|---|---|
Allée | ALL | Alez | ALZ |
Avenue | AV ; AVE | Bali | BL |
Boulevard | BD ; BRD | Boulouard | BD ; BRD |
Carrefour | CAR | Kroashent | KT |
Chemin | CHE | Hentig | HTG |
Cité | CIT ; CTE | Kêrig | KRG |
Clos | CLS | Kloz | KLZ |
Cours | COU ; CRS | Bali | BAL |
Escalier | ESC | Skalier | SKA |
Esplanade | ESP | Reper | REP |
Galerie | GAL | Palier | PAL |
Immeuble | IMM | Kendi | KEN |
Impasse | IMP | Hent-dall | HTD |
Jardin | JRD | Liorzh | LZH |
Lotissement | LOT | Lodennaoueg | LOD |
Parvis | PVS | Leurenn | LRN |
Passage | PAS | Tremen | TZL |
Passerelle | PLE | Treuzell | TZL |
Place | PL ; PCE | Plasenn | PL ; PLN |
Plateau | PLT | Pladenn | PLD |
Pont | PT ; PNT | Pont | PT ; PNT |
Port | PRT | Porzh | PZH |
Porte | PTE | Dor / Porzh | DOR |
Promenade | PRM ; PRO | Pourmenadenn | PRM |
Quai | QU ; QU. | Kae | KAE |
Quartier | QUA | Karter | KAR |
Rampe | RP | Krapenn | KP |
Rocade | ROC | Hent-tro | HTT |
Rond-point | RPT ; RND | Kroashent-tro | KHT |
Résidence | RES | Annez | ANZ |
Route | RTE | Hent | HT |
Ruelle | RLE | Straedig | SDG |
Sentier | SEN | Gwenodenn | GWD |
Square | SQU ; SQ. | Skwar | SKW |
Terrasse | TSE | Savenn | SVN |
Tunnel | TUN | Tunel | TUN |
Venelle | VEN | Banell | BAN |
Viaduc | VDC | Pont-meur | PTM |
Villa | VLA | Kenkiz | KIZ |
Voie | VOI | Hent | HNT |
Note : "Lieu-dit" [LD ; LDT] n'est pas un type de voie mais une catégorie que l'on peut utiliser en interne pour classer les adresses, comme dans une base de données. Le terme n'est pas à être intégré dans l'intitulé de l'adresse. Même remarque à propos de "Lec'hanv" [LEC] bien entendu.
Résolution de la Conférence territoriale de la langue bretonne, 17-10-2019.
Composition de la CTLB :
« S’agissant de la toponymie nouvelle (artères, voies, zones, quartiers, équipements, communes nouvelles, communautés…), la Conférence territoriale (…) souligne l’intérêt d’utiliser à la fois la langue bretonne et les éléments culturels et historiques locaux ou régionaux pour créer les toponymes qui seront les futurs marqueurs du cadre de vie des habitants et de l’identité de chaque territoire. Il s’agit ainsi d’une part d’éviter de participer à un mouvement de banalisation de plus en plus rejeté par la population, et d’autre de part de profiter des nouvelles appellations pour renforcer le sens et l’adhésion collectives aux territoires.
« La Conférence territoriale encourage les collectivités bretonnes qui mènent une politique en ce sens et recommande, en s’appuyant sur l’expertise de l’Office public de la langue bretonne :
« de conserver, préserver et mettre en valeur le patrimoine toponymique existant ;
« de s’efforcer d’utiliser la langue bretonne et les éléments historiques locaux pour procéder au choix des nouvelles appellations. »